Dès l'an 1000 de notre ère, on
raconte qu'un calife exprimait le désir de voir fabriquer "une
plume qui écrirait sans qu'un encrier soit nécessaire"...
Bref, un stylo qui ne tacherait pas, qui sécherait presque
instantanément. Dès son désir exprimé, il
fut exaucé. Un habile artisan lui offrit un stylo d'or massif :
le premier stylo à plume peut-être ? Nous n'en savons
guère plus sur la technique utilisée par l'artisan.
L'idée du stylo remonterait aux Egyptiens ou aux Romains, qui
savaient rouler des feuilles de bronze pour réaliser des calames
de forme cônique. A l'origine réalisé dans un
fût de roseau, le calame est en fait l'ancêtre du
porte-plume. La plume proprement dite étant taillée
directement au bout de la tige. On remarque dans la
représentation des scribes de cette époque qu'ils
plongeaient leur outil à écrire dans des sortes
d'encriers fixés ou posés sur leur tablette de travail.
La création du stylo comportant son propre réservoir
intégré est beaucoup plus tardive, bien après le
développement des plumes en métal au XIXe siècle.
De nombreuses entreprises continuèrent même leur
production jusqu'à la fin des années 50.
Le stylo à plume sera le fruit des efforts de bricoleurs de
génie qui mirent en application des règles relativement
élémentaires de la conduction du liquide par
capillarité afin d'obtenir qu'une petite quantité d'encre
coule lentement sur la plume au fur et à mesure que celle-ci
avance sur le papier. Dans l'Encyclopédie de Diderot et
d'Alembert, il est déjà fait mention d'une sorte de plume
comportant une petite réserve d'encre, mais les auteurs ne
s'étaient pas laissé abuser et déclaraient sans
ambages qu'il s'agissait d'un "mauvais instrument" ! D'autres auteurs
évoquèrent ce que nous appelons aujourd'hui le stylo
à plume. L'un des plus anciens dont on ait gardé la trace
remonte, semble-t-il, au XVIIIe siècle. Il s'agit d'une
réalisation de M. Bion, fournisseur du roi de France,
datée de 1702.
Les pionniers
Lewis Edson Waterman
Tout commence par la mésaventure d'un courtier en assurances,
vers 1880. Alors qu'il se préparait à faire signer un
contrat très important à l'aide d'un porte-plume
réservoir, l'affaire tomba à l'eau pour cause de jet
d'encre. Au lieu de la signature du client, ce fut une mare d'encre qui
recouvrit le contrat. Cette marée noire conduisit l'agent
d'assurances Lewis Edson Waterman, dépité, à
réfléchir à la conception d'un outil performant .
Si les premières tentatives n'apportèrent que peu
d'amélioration, il réussit après de nombreuses
modifications à obtenir un modèle cylindrique
constitué d'un canal de section carrée et de fines
rayures situées sur le fond. Il déposa son brevet le 12
février 1884, date qui est reconnue aujourd'hui comme celle de
la naissance du stylo. Ce brevet est à l'origine de la
conception des conduits capillaires que l'on retrouve encore
aujourd'hui sur tous les stylos à plume. Si notre inventeur de
génie utlisa personnellement son premier stylo pour
améliorer ses performances d'assureur, il découvrit
rapidement que collègues et clients voulaient aussi
posséder son invention. L'industrie du stylo allait
naître. Celle-ci commença par quelques bricolages sur une
table de cuisine, qui permirent tout de même à 200 stylos
en ébonite de voir le jour la première année. Puis
sa production monta à 500 la deuxième année, et
grâce à la publicité, les commandes
dépassèrent toutes les espérances les
années suivantes. La marque Waterman venait de prendre son
envol. Après plusieurs décennies de profits, le
déclin s'amorça dans les années 50. L'année
1954 sera fatidique pour Waterman aux Etats-Unis. Le nom sera
préservé en France par Jif-Waterman qui deviendra
définitivement Waterman S.A. en 1971 en rachetant la marque
américaine. Waterman est devenu depuis le deuxième
fabricant mondial.
George Parker
Autre grand nom du stylo aux Etats-Unis, George Parker connut la
vocation alors qu'il était professeur de
télégraphie, en vendant des stylos John Holland à
ses élèves. George Parker, qui se devait d'assurer le
service après-vente, se trouva confronté au
problème du flux d'encre s'arrêtant dès que l'air
prenait la direction du réservoir. L'homme se mit au travail, et
à l'aide d'un tour, d'une minuscule foreuse et d'une scie,
accoucha en fin de compte d'un stylo suffisamment stable pour ne plus
avoir besoin de révisions à l'atelier. Il déposa
son premier brevet en 1889. Une fois de plus il sera question d'un
agent d'assurance entreprenant. Un nommé W.F. Palmer avec qui il
réussit à mettre sur pied la Parker Pen Company. Les
premières années, ils déposèrent plusieurs
brevets et furent à l'origine de nombreuses inovations
technologiques. Les deux fils Parker prirent la succession de leur
père qui mourut cinq ans après la disparition de son fils
aîné Russell en 1932. Kenneth, le cadet, fut à
l'origine de quelques grandes idées comme le Parker 51
pour lequel il travailla avec le designer d'inspiration Bauhaus
Moholy-Nagy. Depuis 1986 Parker est devenu une marque anglaise.
Walter Sheaffer
Retour au début du siècle dans l'Iowa.Walter A. Sheaffer
est bijoutier à Fort Madison. Il vend des montres aux fermiers
locaux et de temps en temps quelques stylos. A l'époque, ceux-ci
sont munis d'un réservoir se remplissant par un système
de bague amovible compressant un tuyau en caoutchouc. Walter Sheaffer
eut l'idée de remplacer cet accessoire inesthétique par
un levier que l'on rabattait dans le corps du stylo, ce qui le rendait
presque invisible. Et surtout, on ne risquait plus de faire couler
l'encre en appuyant par mégarde sur le caoutchouc. A son tour,
cet artiste ingénieux se lança dans l'aventure
commerciale du stylo et, en 1913 Walter Sheaffer crée sa
société qui, après quelques déboires
judiciaires, finit par s'imposer à son tour.
La traversée de l'Atlantique
Le grand rêve américain, qui permet à tout homme de
créer son entreprise et de réussir en partant d'une
simple idée, s'applique à merveille à l'aventure
du stylo.
D'ailleurs, jusqu'aux années cinquante, ce sont les entreprises
anglo-saxonnes qui tenaient le haut du pavé. L'Allemagne
commença à produire des stylographes juste avant la
Première Guerre mondiale.
En France, les débuts du stylo sont difficiles à
identifier avec précision, car les systèmes de
commercialisation ne laissaient guère aux fabricants
l'opportunité de faire connaître leur identité. De
plus, les pièces étaient souvent fabriquées dans
des usines différentes puis prenaient le chemin d'un assembleur
qui les commercialisait à son tour. Pourtant, des firmes comme
Sabon ou Mallat produisirent de très belles pièces, mais
sont aujourd'hui tombées dans l'oubli. C'est au tout
début de notre siècle que les premières grandes
firmes françaises virent le jour, dont la marque Paillard. C'est
surtout à partir des années 20 que le stylo
français acquiert ses lettres de noblesse avec la
création de plusieurs sociétés comme Stellor,
Unic, Edac, l'apparition des marques
Stylomine, le
Météore ou Grand Aigle. De nouveaux matériaux
furent alors utilisés comme le plexiglass ou le celluloid.
A partir des années 40, une augmentation constante de la demande
combinée à des matières premières de
mauvaise qualité va conduire l'Europe à une production
médiocre et ce n'est qu'après la levée des
interdictions de production de plumes en or en 1949 que l'industrie du
stylo retrouve la voie de la qualité et du luxe. Les grandes
marques comme
MontBlanc sauront imposer des normes
d'élégance qui n'ont pas été
démenties depuis. La deuxième partie du XXe siècle
apportera à l'industrie du stylo de nombreuses innovations qui
lui ont permis d'évoluer en associant confort et
élégance. Les grandes marques des premières heures
de l'histoire du stylo à encre sont presque toutes encore
présentes dans un marché où se réconcilient
les générations.